Définition d'un arbre
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Qu’est-ce qui fait qu’un arbre est un arbre ?

Nous publions ici un extrait de l’ouvrage de Francis Martin, « Sous la forêt. Pour survivre il faut des alliés » qui vient de paraître aux éditions Humensciences. À la tête du laboratoire d’excellence « Arbre » (INRA Nancy), Francis Martin a notamment découvert comment les arbres et les champignons communiquent entre eux. Il revient dans le texte ci-dessous sur la façon dont notre perception des arbres et des plantes a évolué au gré des découvertes scientifiques.


On me pose souvent la question : qu’est-ce qui fait qu’un arbre est un arbre ? La réponse n’est pas aussi simple qu’elle paraît.

L’étude de la quarantaine de génomes d’arbres séquencés n’a pas mis en évidence de caractéristiques génétiques uniques à ces organismes. Aucun des gènes constituant leur patrimoine génétique ne peut rendre compte de leurs propriétés biologiques si particulières.

Je pourrais bien entendu argumenter et vous affirmer que les arbres sont capables de vivre des siècles, qu’ils fabriquent du bois et qu’ils peuvent atteindre de grandes tailles. Les arbres sont apparus dans de nombreuses lignées de plantes et ils se distinguent des autres plantes essentiellement par leur pérennité, leur incroyable capacité à traverser les siècles. Nous avons tous à l’esprit les magnifiques séquoias ou les peupliers trembles millénaires.

Un enfant vous dirait qu’un arbre est un arbre car il fabrique du bois. C’est juste. Les « vrais arbres » fabriquent l’écorce et le bois grâce à une couche de cellules particulières, le cambium. Année après année, les cellules souches qui constituent cette fine structure génèrent les cellules du bois dont les parois sont formées des microfibres entremêlées de cellulose et de lignine. Ces cellules meurent rapidement, se vident et leurs parois rigides forment les cernes du bois qui s’accumulent au cœur de l’arbre. Fabriquer du bois n’est cependant pas l’apanage des arbres ; des herbes comme les lavandes et les sauges accumulent du bois dans leur tige.

Quid des « faux arbres » ? Palmiers et bananiers ressemblent fort à des arbres ; en tout cas, ils en ont le port majestueux, mais ce sont des herbes géantes. Ils n’ont pas de tronc, mais une tige remplie de moelle ou de longues fibres (le stipe), et leurs palmes remplacent les branches.

Une certitude, être un arbre donne un avantage considérable sur les plantes herbacées cantonnées au ras du sol : dominer et être plus proche du soleil pour en capter la lumière.

L’héritage de Darwin

Depuis Aristote, les arbres, comme les autres plantes, sont perçus comme des organismes vivants, mais passifs, juste capables de croître, de respirer et de se nourrir. Le philosophe grec leur a attribué une « âme végétative », inférieure à l’« âme sensitive » des animaux et bien loin de l’« âme intellective » de l’homme.

Cette vision anthropocentrique du monde a été relayée au cours des siècles par les philosophes et les théologiens occidentaux. Il aura fallu attendre les travaux initiés par le naturaliste paléontologue anglais Charles Darwin (1809-1882) et son fils Francis (1848-1925) pour que cette vision du monde végétal évolue sensiblement.

Les savants anglais ont alors démontré que les plantes possédaient des capacités sensorielles leur permettant de percevoir le monde qui les entoure et d’interagir avec cet environnement. Elles réagissent aux perturbations extérieures afin de s’y adapter et de pallier ainsi leur immobilité forcée.

Au cours de l’année 1880, les Darwin publient The Power of Movement in Plants (La Capacité de mouvement des plantes). Leurs expériences montrent par exemple que le coléoptile (cet organe formant une gaine protectrice autour des pousses émergentes de graminées) est capable de se diriger vers une source de lumière.

Cette capacité à s’orienter en fonction de la source de la lumière, appelée phototropisme, n’est que l’un des nombreux mécanismes inventés par les plantes pour sentir et communiquer avec l’environnement, mais aussi avec les autres êtres vivants.

Jeunes pousses tendues vers la source lumineuse. Shutterstock

Des recherches ultérieures ont confirmé que les plantes perçoivent leur environnement et s’y adaptent par leurs mouvements : elles redressent leur tige inclinée par le vent, s’éloignent de leurs voisines, se dirigent vers la lumière.

Comme les animaux, elles possèdent donc plusieurs sens (vision, odorat, toucher), qui ont la particularité d’être répartis sur toute la surface de leur corps, et non pas localisés dans des organes spécialisés comme chez les animaux. Au niveau moléculaire, les récepteurs et les cascades de signaux déclenchés par la perception de ces stimuli extérieurs sont fondamentalement identiques chez les animaux, les plantes et les mycètes.

Les plantes sont également capables d’émettre des signaux de stress ou de satiété, et de tisser des liens avec les champignons et bactéries symbiotiques du sol. Elles sont donc douées de sensibilité, c’est-à-dire capables de ressentir les modifications du milieu et d’y réagir. En biologie, cette propriété se définit comme étant la capacité pour un « récepteur » (en fait un organisme, une cellule ou une molécule) à recevoir des stimulations d’origine physique ou biologique, et à y répondre en mobilisant l’énergie de leur métabolisme.

Les plantes, êtres sensibles

Au cours des dernières années, notre vision des plantes a considérablement évolué et de nombreuses recherches sont désormais consacrées à la sensibilité des plantes. Comment sont-elles capables de percevoir les multiples signaux extérieurs qui les bombardent ? Comment ces signaux sont-ils captés et interprétés (« transduits », dit-on) par les voies de signalisation moléculaire ? Comment cellules, tissus et plantes répondent-ils à ces signaux environnementaux ? Comment s’y adaptent-ils ?

Les plantes sont donc des êtres sensibles : elles communiquent, elles échangent des signaux chimiques. Pour autant, sont-elles douées d’intelligence ? Si l’on considère l’intelligence telle qu’elle est définie dans le Larousse, comme une « aptitude à s’adapter à une situation, à choisir des moyens d’action en fonction des circonstances », alors les plantes sont douées d’intelligence, comme tous les organismes vivants, bactéries ou vers de terre, qui eux aussi sont sensibles et s’adaptent. Cette intelligence est toutefois bien éloignée de l’intelligence cognitive humaine. Pourtant, des auteurs n’hésitent plus à parler de « l’intelligence des plantes ». Le livre de l’ingénieur forestier allemand Peter Wohlleben, La Vie secrète des arbres, a d’ailleurs fait l’objet d’une vive polémique lors de sa sortie en Allemagne et en France.

Avec un discours excessivement anthropomorphique, ce forestier, amoureux des forêts, y développe l’idée que les arbres communiquent entre eux par le biais de signaux chimiques et à travers leurs racines et les réseaux de filaments mycéliens des champignons symbiotiques qui les connectent. Ces réseaux souterrains serviraient de lien solidaire pour nourrir les arbres voisins malades ou les « arbres enfants », poussant dans l’ombre de leurs parents. Les racines auraient même la capacité de transmettre des messages d’alerte en cas de danger, par exemple lors d’une attaque de chenilles.

Face à une agression, « les informations sont transmises (à la communauté) chimiquement, mais aussi, ce qui est plus surprenant, électriquement, à la vitesse d’un centimètre par seconde ». Ainsi alertés, les arbres pourraient organiser leur protection contre les parasites, les insectes ravageurs, ou même le gibier, en déclenchant la libération de composés volatiles d’alerte par les feuilles et leurs champignons mycorhiziens. Le lecteur est ainsi encouragé à revoir ses convictions.

Les arbres, ainsi que les autres plantes, seraient doués de sentiments humains : amour maternel, amitié, solidarité. Leur âme ne serait pas seulement « végétative » et désormais « sensitive », mais même « intellective ». Comme dans Avatar, le film de science-fiction de James Cameron, les plantes pourraient bien former un immense ensemble de réseaux intelligents irriguant notre biosphère.

Le succès du livre de Peter Wohlleben s’explique en partie par la capacité de l’auteur à partager sa passion pour les arbres, avec un vrai sens de la pédagogie. Je crois qu’il entre en résonance avec les préoccupations environnementales qui animent aujourd’hui le public. Ce livre soulève de multiples questions pertinentes sur la biologie des arbres et le fonctionnement des forêts, mais les résultats scientifiques sont parfois mal compris et, au final, la vision de la forêt et de la communauté des organismes qu’elle héberge relève plus du conte philosophique que de la réalité. Néanmoins, je considère que c’est une bonne nouvelle qu’un livre décrivant la forêt et les arbres se vende aussi bien qu’un lauréat du prix Goncourt.

Quoi qu’il en soit, les plantes ont un comportement bien plus sophistiqué qu’on ne l’a imaginé pendant des siècles. Elles sont capables, d’une part, de percevoir leurs voisines et, d’autre part, de se percevoir elles-mêmes dans l’espace et d’adapter leurs mouvements en conséquence. Elles peuvent donc sentir et communiquer.The Conversation

Francis Martin, Biologiste, mycologue, directeur scientifique du Labex « Arbre », Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.