Comment les vers de terre font-ils pousser les plantes ?
Un avantage à travailler sur les vers de terre est que tout le monde pense les connaître ! Mais cela n’empêche pas que ces humbles travailleurs du sol sont toujours un sujet de recherche, notamment pour comprendre quels sont les mécanismes divers et compliqués qu’ils mettent en oeuvre pour agir sur les sols et les plantes.
Rappelons tout d’abord qu’il existe une grande diversité d’espèces de vers de terre (environ 6000 mais moins de la moitié a été décrite par les scientifiques). On classe ces espèces en trois groupes écologiques : les épigés qui vivent au-dessus du sol dans les feuilles mortes et s’en nourrissent; les endogés qui vivent dans le sol et se nourrissent de la matière organique morte qu’il contient, et les anéciques qui vivent dans le sol mais se nourrissent des feuilles mortes à la surface du sol.
Ingénieurs de l’écosystème
Les vers sont l’exemple parfait des espèces dites « ingénieurs de l’écosystème ». Toutes les espèces dépendent de leur environnement mais aussi modifient leur environnement, au moins en se nourrissant. Les espèces ingénieurs sont celles qui modifient très fortement leur environnement par des activités qui dépassent la simple nutrition. Par quels mécanismes ? Nous allons voir comment les vers modifient leur environnement, c’est-à-dire les sols, et de ce fait influencent la croissance des plantes.
Les vers endogés et anéciques creusent des galeries dans le sol. Pour cela, ils avalent de la terre et la rejettent sous forme de déjections que l’on appelle turricules. Cela crée des espaces vides et des agrégats plus ou moins compacts dans le sol et à sa surface. De ce fait, grâce aux vers de terre (et à d’autres organismes du sol), il n’est pas une couche compacte et homogène. Les espaces vides entre les agrégats facilitent la croissance des racines et l’infiltration de l’eau.
Tous les vers participent au recyclage de la matière organique morte. Quand une plante ou ses parties (racines, feuilles) meurent, la matière en résultant contient du carbone mais aussi des substances minérales (azote, phosphore…) vitales à la croissance des végétaux. Or, les plantes ne peuvent absorber ces substances qu’une fois la matière morte décomposée par les organismes décomposeurs comme les bactéries et les champignons.
Les vers participent à cette décomposition via différents mécanismes. Les épigés et les anéciques consomment les feuilles mortes et les fragmentent, ce qui facilite leur décomposition par d’autres organismes. Quant aux vers endogés, ils participent à la décomposition de la matière organique des sols en la consommant (Après avoir ingéré de la terre, ils arrivent à digérer une petite partie de la matière organique qu’elle contient). Mais ces vers agissent aussi en stimulant certains microorganismes (par exemple des bactéries) du sol.
Les vers, en fragmentant la litière, en créant des galeries et des agrégats de sol transforment complètement leur environnement. Comme ils ne sont pas les seuls dans le sol, ils influencent les autres organismes qui s’y trouvent : bactéries, champignons, protozoaires, nématodes, collemboles… . Ils peuvent par exemple favoriser certaines bactéries et en défavoriser d’autres. Il a ainsi été montré dans certains cas que les vers pouvaient diminuer l’abondance ou l’impact de certains agresseurs des plantes comme des nématodes phyto-parasites (vers microscopiques suçant la sève des racines). Potentiellement, l’effet inverse pourrait être observé.
Croissance des racines
les scientifiques ont remarqué que la présence de vers dans un sol changeait la croissance des racines. En leur présence, on trouve des phyto-hormones dans les sols. Normalement, ce sont des molécules produites par les plantes. Elles circulent dans les végétaux et en régulent leur fonctionnement et leur croissance comme le font les hormones des animaux. Mais d’où viennent celles des sols ? Le mécanisme n’a pas été entièrement démontré, mais on sait que certaines bactéries sont capables de fabriquer des phyto-hormones. L’idée serait que les vers favorisent certaines bactéries et les stimulent, si bien qu’elles se mettent à produire des phyto-hormones, ce qui change la pousse des racines (longueur de racine, ramification…). Au total, cela favorise la croissance des plantes.
Le ver serait donc un promoteur de croissance : une étude publiée en 2014 a montré que si l’on en met dans des plantes en pots, on remarque une augmentation moyenne de 23 % de leur croissance, par rapport à des pots sans vers. Cependant, il existe beaucoup de variabilité. L’augmentation de croissance peut atteindre jusqu’à 300 %. Par ailleurs, dans certains cas très rares, les vers diminuent la croissance des plantes. Il reste donc difficile de prédire, si on choisit une espèce de plante, une espèce de vers et un type de sol, quelle sera l’augmentation de la croissance de la plante. Même si certaines hypothèses ont été émises, aucune théorie générale ne permet de s’avancer sur cette question. Cela reflète la complexité de la science écologique qui doit prendre en compte une biodiversité très élevée (ici toutes les espèces de vers, de plantes et de bactéries), une grande diversité des conditions environnementales (ici les propriétés physico-chimiques des sols, comme leur contenu en argile, matière organique et azote…) et doit in fine prédire le résultat d’interactions très diverses entre ces organismes et leur environnement.
L’écologie des sols doit aussi faire face à des difficultés méthodologiques parfois insolubles. On comprend vite qu’il est facile de faire une expérience de quelques mois en pots. Mais il est beaucoup plus difficile de déterminer l’effet réel des vers, dans la nature, sur le long terme, par exemple sur des arbres ou sur la production de blé au bout de plusieurs cycles de culture. Pour cela, il faudrait maintenir des parcelles de sol avec des vers et d’autres sans vers pendant une longue période, ce qui est très difficile. Une solution alternative serait de faire tourner des modèles mathématiques.
Enfin, une question de recherche supplémentaire concernant les vers, complètement ouverte, est liée à l’évolution darwinienne de ces organismes. Au cours de leur évolution, les vers se sont adaptés à vivre dans les sols et à se nourrir de matière organique morte. Mais, indépendamment de ces évolutions « de base », potentiellement favorables aux plantes, la sélection naturelle a-t-elle sélectionné spécifiquement chez les vers des mécanismes leur permettant d’améliorer la croissance des plantes ? Cela pourrait être le cas de ceux faisant intervenir les phyto-hormones…
Sébastien Barot, Chercheur en écologie, IEES-Paris, vice-président du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), Institut de recherche pour le développement (IRD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.