permaculture

Aux origines de la permaculture

Née en Australie dans les années 1970, la permaculture s’est diffusée dans le monde entier. Si son audience est longtemps restée confidentielle, elle suscite désormais un intérêt croissant.

Dans les pays développés, elle touche un public éduqué de plus en plus inquiet des impacts d’un modèle économique fondé sur la surconsommation d’énergie et de ressources naturelles. Dans les pays en développement, elle est considérée comme une voie fructueuse pour les agricultures familiales refusant de se glisser dans le modèle technique que la révolution verte a cherché à leur imposer. L’expansion de son public s’est accompagnée d’une extension de son champ d’application.

Retour à la terre

En 1978, le texte fondateur de la permaculture la définissait comme visant à constituer « un système intégré et évolutif d’espèces animales et végétales pérennes utiles à l’homme ». En 2002, la définition englobait plus largement les aménagements humains, tout en maintenant une dimension agricole : « Des paysages conçus consciemment qui imitent les modèles et les relations trouvés dans la nature, tout en produisant une abondance de nourriture, de matériaux et d’énergie pour répondre aux besoins locaux ».

« Pour ceux d’entre nous qui ont connu l’agitation de la fin des années 1960, il semblait ne pas y avoir d’issue favorable […] Les griefs concernaient l’aventurisme militaire, la bombe, l’exploitation sauvage des terres, l’arrogance des grands pollueurs et le manque de prise en compte des besoins humains fondamentaux. »

Cette citation de Bill Mollison, créateur de la permaculture et co-auteur avec David Holmgren de l’ouvrage fondateur Permaculture One paru en 1978, en situe les origines. Elle s’ancre dans le courant critique qui surgit à la fin des années 1960 avec les mouvements de la contre-culture nord-américaine et la naissance de l’écologie politique : critique d’un désastre écologique devenu patent, de la foi absolue dans les vertus d’une croissance dévoratrice de ressources, de la surconsommation énergétique, de l’individualisme consumériste, du développement inégal, du militarisme et de l’impérialisme, de l’oppression des minorités et des femmes, de la soumission aux normes politiques et morales édictées par les élites économiques.

Certains des mouvements sociaux nourris de ces critiques entendaient imposer des propositions écologiques et sociales en conduisant un combat politique assez « classique ». D’autres recherchaient des solutions pratiques pour construire ici et maintenant un « autre monde » dont le maître-mot serait autosuffisance, qu’elle soit énergétique, matérielle, alimentaire ou institutionnelle. Les projets de « retour à la terre » des années 1970 s’inscrivaient dans cette logique.

Critique de la modernité

Face à l’hégémonie du modèle socio-économique dominant, il s’agissait de se retirer du monde en s’installant dans des espaces isolés ou abandonnés par le développement industriel, où la pratique de l’agriculture permettrait de reconstruire un lien prémoderne avec la nature. L’inspiration romantique (Thoreau, Tolstoï) de ce mouvement était évidente, tout comme sa dimension apocalyptique : ce monde qui, dans son irrépressible avidité, semblait vouloir détruire irrémédiablement son environnement naturel, était condamné à plus ou moins brève échéance. Ceux qui auraient construit des lieux préservés, fondés sur le renoncement à une vision utilitariste et dominatrice de la nature, deviendraient les garants du salut de l’humanité menacée.

Eschatologie écologique, refus de l’anthropocentrisme, revendication d’une vision holiste du monde s’opposant à un réductionnisme utilitariste, ancrage concret au sein de la nature : ces positions sont celles des premiers permaculteurs. Leur parenté avec l’écologie profonde (Arne Naess) est évidente. Ils considèrent cependant que l’Humanité n’est pas contraire à la Nature par essence.

C’est la modernité occidentale qui est condamnable pour avoir créé une barrière artificielle étanche entre le monde naturel fait d’objets inanimés régis par des lois accessibles à la connaissance rationnelle et le monde des hommes, fait de sujets animés non réductibles à de telles lois naturelles.

Réincorporer l’humain dans la nature

La permaculture s’oppose à cette posture philosophique qui a permis l’industrialisation du monde et la réduction de la nature à un ensemble de ressources dont le progrès technique permet de maximiser l’exploitation. Elle se déclare ainsi résolument « anti-moderne » (voire post-moderne) en postulant la nécessité de réincorporer l’humain dans la nature. Elle ne rejette pas en bloc la technique mais considère que celle-ci doit être l’instrument de cette réincorporation.

L’idée de « pacte avec la nature » est au cœur de la permaculture, comme en témoigne cet extrait d’une interview de Bill Mollison réalisée par Alan Atkisson en 1991 : « La permaculture exhorte à une coopération totale avec chaque autre et toute autre chose, animée ou inanimée ».

Cette coopération entre humains et non-humains est la condition d’une transformation globale des sociétés permettant de mettre concrètement en œuvre quatre principes éthiques fondamentaux : prendre soin de la Terre, prendre soin des humains, fixer des limites à la consommation et redistribuer les surplus.


Découvrez l’intégralité du texte de François Léger, Rafter Sass Ferguson et Kevin Morel sur la permaculture sur le site de « La pensée écologique ».The Conversation

François Léger, Enseignant-chercheur en agroécologie, AgroParisTech – Université Paris-Saclay et Kevin Morel, Docteur en sciences agronomiques, chercheur en agroécologie, Université catholique de Louvain

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.